Les élèves de l'école primaire de Pujo vous présentent une nouvelle qu'ils ont écrite durant l'année 1999/2000. Le travail de duplication sur internet a été réalisé par les élèves du collège Ste Anne.

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"Le secret de la Montagne sauvage"

 


 

1

de la disparition de deux brebis

Ce jour-là, la fillette se leva du pied gauche, le mauvais pied. Elle pensa :

"La barbe, la barbe, la barbe, la barbe ! ".

Elle devait accompagner les moutons au pâturage.

A notre époque, c'est plutôt rare, mais elle est fille de cadet, elle n'y peut rien. Eh oui, son père, Marcel, est le second de la famille, et dans les Pyrénées, être second, c’est quelque chose de particulier. On est berger mais on ne possède pas le troupeau, qui appartient au frère aîné, le maître ; c’est lui qui a reçu tous les biens du père en héritage. Bernadette enfile son pull, son tablier et ses bottes crottées et part en direction du Pic de Plumières.

En chemin, elle rencontre Pierre. C’est le maire de la commune de Pujelles. Il est bien gentil et discute volontiers avec les enfants du village. Justement, Bernadette l’entend discuter avec sa voisine de table, Jeannette. Le père de sa camarade de classe vient d’acheter un téléphone portable. Pierre aimerait savoir s’il fonctionne bien, et mille autres choses. Bernadette sourit, et le maire, sans même la remarquer, continue ses questions pendant qu’elle passe et leur lance un geste du menton, signe de bonjour.

Enfin, Jeannette la rattrape et les deux fillettes repartent ensemble. Elles accompagnent le troupeau jusqu’à la prairie et laissent paître le bétail au soleil. Thibaut est arrivé et Léon aussi. Ils vont tous à 1’école ensemble et s’entendent très bien. Alors, pendant les vacances, ils se rejoignent pour jouer en gardant les troupeaux. De temps en temps, chacun compte ses bêtes. Soudain, un des garçons s'écrit :

"— Il m’en manque une !".

Les autres, aussitôt, recomptent, vérifient. Il en manque une aussi à Jeannette.

 

2

de la recherche par les enfants

 

Les enfants cherchent dans les environs entre les genêts, les buissons de myrtilles, à proximité des autres brebis.

Soudain, presque en même temps, ils aperçurent dans le bois, les uns des traces de griffes, longues, épaisses sur un vieux hêtre, les autres des touffes de poils accrochées à des ronces et de drôles d’empreintes en bordure du sentier.

Là-dessus, Léon bégaya :

-"Eh, mais, eh mais, mais c’est les traces d’un ours".

-"bah, ce n’est que les traces d’un gros chien..." opposa Thibault.

-"o o oui ce n’est qu’un gros chien", se rassurèrent Jeannette et Bernadette, terrifiées par l’idée de Léon.

Alors, celui-ci ajouta :

-"Que ce soit un ours ou un chien, il faut aller prévenir le maître".

-"Mais tu es fou... Il va nous gronder", s’exclamèrent les trois autres.

-"De toutes façons, il s’en apercevra", insista Léon.

-"Bon, allons-y", acceptèrent Thibault et les filles.

Quand le maître apprit la disparition, il apprécia le courage, la confiance, la responsabilité des enfants et agit aussitôt.

 

3

de l'intervention du maire et d'une découverte du cadet

 

En passant, ils avertirent aussi Marcel, le père de Bernadette. Le cadet n’est pas un homme de palabres. I1 partit aussitôt.

D’un pas rapide, le cadet suit les quelques traces des brebis qui le conduisent par un chemin raide et étroit, bordé d’un précipice caillouteux, jusqu’à une prairie, vaste, déserte, une soulane abandonnée. Les anciens avaient du lui en parler mais il n’y était jamais allé.

Il la traversa, alla derrière une allée de noisetiers, fouilla derrière les ronciers et découvrit dans le mur de roches un grand trou sombre, plus noir qu'il n’en avait jamais vu. La curiosité l’emporta. Il entra, suivit un long couloir étroit et parvint à une tanière dans laquelle à sa grande surprise, il put voir un petit ourson dodu, le ventre en 1’air, les pattes écartées, la bouche ouverte. Il était plongé dans un rêve ; sa bouche semblait téter. Il faisait doux dans cette tanière. L’ourson reposait sur des feuilles de hêtre, une sorte de paillasse recouverte de poils de sa mère.

Le cadet trouva cette scène émouvante. Il ne pouvait détacher son regard. Etait, ce là, ce prédateur dont les anciens avaient tant haï les parents ? Silencieusement, sans réveiller l’ourson, il repartit à la recherche des brebis.

 

Le maître ne s’était pas vraiment fâché avec les enfants. Cependant, il décida d’avertir le maire ; ces chiens errants que les touristes perdaient en forêt posaient de plus en plus de problème... Quand il arriva sur la place, au village, on discutait ferme... :

 

-"C’est une bonne chose pour moi", disait 1'épicier, ça attirera les touristes "je ferai fortune..."

-"Personne n’osera plus partir en randonnée et..."

-"Je ne m’occupe pas de ces affaires moi..." fit le boucher.

Le boulanger commença à critiquer :

-"Toi, la chair, tu pourrais bien la revendre..."

-"La revendre ? Je ne ferais jamais ça !"

-"Hé moi, il va me manger mes plantes", s’inquiéta un vieux voisin sous son chapeau de paille.

 

Un touriste milliardaire , invité par 1’aubergiste, s’exclama:

-"Ouah, la classe, je pourrais 1’emmener dans les casting a..."

-"Et moi je vous dis que les enf…"

L’institutrice ne put finir sa phrase. Tout le monde l’interrompant, s’était tourné en s’exclamant vers le fond de la place où on entendait quelques bêlements.

Quand le cadet, suivi des deux brebis boitillantes, traversa la place de Pujelles, l’épicier toujours aussi malin, posa la question le premier:

-"Alors , tu l’as vu cet ours?".

-"Mais attendez, attendez", calma le cadet, "ça suffit! Laissez - moi me reposer et reprendre mon souffle..."

S’approchant de la fontaine, il but quelques gorgées d’eau fraîche tout en calculant ses paroles. Puis il répondit à la question de 1’épicier :

-"Mais non, mais non, il n’y en a pas, c’est sûrement un gros chien qui s’est mis derrière les bêtes .D’ailleurs , vous voyez , je les ramène, elles n’étaient pas bien loin...".

Le milliardaire s’avança et s’exclama:

-"Vous êtes sûr qu'il n’y en a pas? J'aurais pu en faire une star...".

Le cadet énervé rétorqua:

-"Arrêtez avec vos remarques idiotes; non ,il n’y a pas d’ours, c’ est tout...".

 

Pendant que les habitants s’inquiétaient, Pierre sortit de la mairie, et voyant toutes ces personnes qui s’agitaient, il tonna:

-"Un peu d’attention, que se passe-t-il ? Les réunions c’est à la salle qu’on les fait...".

-"Et et... et si c’ était un grizzly?" S'exclama un autre touriste parisien qui avait du souvent aller au cirque ou regarder la Cinq.

-"Mais non, il n’y en a pas sur le pic...".Lança un jeune berger.

-"Mais ...mais ,je vous assure, j’en ai vu à la télé!"

-"Venez plus souvent chez nous", coupa le père de Bernadette".

-"Allons, allons", dit le maire, "Marcel a les bêtes, c’est 1’essentiel. Je propose pour ceux qui le veulent, une réunion pour discuter de ce malentendu, mercredi, à dix sept heures quinze, ici même".

Les villageois se dispersèrent, rassurés mais pas convaincus, qu'il n’y avait aucun danger à aller au pic de Plumières. Le maire avait clos la discussion.

4

d'un cuisinier très malhonnête

 

Pendant cette discussion, une créature se cachait dans un passage, au bas des escaliers. Blottie, en boule, elle surveillait le regard inquiet, attentive aux paroles échangées par les gens ; tapie dans un recoin sombre, elle se ramassait, prête à s’enfuir.

Ecoutant tout, la silhouette se noyait dans le décor, profitant de sa petite taille. Son t-shirt à tête de mort, noir, lui évitait de se faire remarquer ; 1’homme se réjouissait de ne pas porter son tablier blanc.

Ce qu’il entendait le faisait réfléchir. Etait-ce un chien? Un ours ? Il fallait savoir... Si c’était un plantigrade, alors, Youl avait une idée. Son ami Jack à Toulouse serait intéressé. Le cuisinier pourrait lui vendre la peau, mais d’abord il allait falloir tuer 1’animal, vérifier doucement dans la montagne quelle bête était vraiment venue, et vite ,avant ,si c’ était un ours, qu’il ne reparte vers l’Espagne.

Aussitôt que l’idée de l’ours lui vient, Youl pense à le piéger. Ainsi, il vengera sa femme et sa fille qui sont mortes un jour, voici très longtemps. L’ours avait grogné, ses enfants avaient eu peur, elles ont couru et sont tombées, toutes les trois les malheureuses, dans un précipice.

Avec la peau, Youl calcule qu‘il pourra devenir riche ; il la vendra très cher au Toulousain.

Cet astronome veut un manteau d’ours pour l'anniversaire de sa femme. Au cours d’un voyage à Moscou, elle en a vu un au marché et il était si joli! Mais le scientifique n’a pas eu le droit de le ramener. La loi protège les animaux et les fourrures sont interdites.

Au retour de Russie, le couple est venu au restaurant de "la baleine échouée" .On l’a renseigné sur les braconniers. Youl a rencontré le Toulousain ils se sont mis d’accord pour que le cuisinier lui fournisse, en grand secret, une peau.

  Soudain, un mouvement se fit dans le groupe qui discutait ; le cadet, Marcel arriva, tranquillement ,suivi des deux brebis ; il revenait du Pic de Phumières. Tous se précipitèrent à sa rencontre.

 

Dans son coin obscur, le petit homme sombre ricanait ; il n’en croyait pas un mot. Marcel avait eu un ton trop sec, bizarre ; c’était une ruse ; il mentait, Youl en était sûr.

 

Il monta, comme un avion furtif, les escaliers et fila à la cabine téléphonique. Il composa un numéro .O..5..61…

-"Allo, Jack! ça te dirait un manteau de fourrure?"

-"Quai, ça serait pour ma femme, c’est son anniversaire..."

-"pour quand?"

-"Mais quelle question... Tu sais bien qu’elle est née le premier mai, pour le muguet."

-"Ah oui, c’est vrai, j’avais oublié!"

-"Bon, revenons à nos moutons... Allez à combien je te le vends?"

-"Je ne sais pas."

-"Allez, dis un prix."

-"quinze mille?"

-"non, vingt, y a le risque."

-"Le risque de quoi?"

-"De me faire attraper par la police."

-"Bon ça marche pour vingt mille.

-"Bye

-"A tout’"

Puis, aussi discrètement, Youl fila chez lui par un sentier de la montagne qui mène à sa grange en ruine, cachée par des fougères, des buissons et des ronces. Seul Youl pouvait y pénétrer car il connaissait un passage dont il n'a révélé l'entrée à personne. Quand il arriva à sa baraque, il prit une polaire, un jean, des bottes et partit sur la sente pour chercher des preuves de l'animal. Arrivé aux estives, le braconnier remarqua des laissées avec des ailes d'abeilles. Plus loin, près d'une ruche fendue, des griffures zébraient un tronc. Partout des plantes étaient croquées, des oignons, des myrtilles, des luzules étaient écrasée.

Youl compris aussitôt de quelle bête il s'agissait ; il était certain que c'était un ours ; sa grand mère lui avait enseigné la montagne et ses habitants, homme ou bêtes. Il en savait plus que s'il avait eu un diplôme de biologie.

 

 

 5

d’une balade en famille

 

C‘est un beau mercredi, ce premier jour de vacances. Toute la famille Fourquet a enfourché les V.T.T. et a filé sur la route forestière vers Pujelles. Le père pédale en tête. Les jumelles suivent : à 10 ans, elles ne posent pas de problème mais n’aiment guère passer dans ces forêts. La mère ne les veut pas devant la télévision. Alors, les fillettes prennent leur vélo et suivent.

Jean, le grand frère lui adore ces sorties. Il est passionné par la nature et partirait chaque jour.

Aujourd‘hui, ils descendent jusqu’au Moudan, et vont se baigner sous le pont. Les filles trament sur le sentier, elles attrapent les rameaux de noisetier et cueillent les fruits qu’elles empochent en se préservant des ronces qui longent le chemin.

Soudain, au fond du sentier…

Pendant que, tremblantes, les jumelles racontent ce qu’elles ont vu à leurs parents, elles ne se rendent pas compte que leur frère Jean écoute très attentivement. Le récit fini, toute la famille Fourquet rentra chez elle.

A la nuit tombée, quand tout le monde dort, Jean prépare son sac à dos et part à 1’endroit précis où ses sœurs disent avoir aperçu 1’ours. Il déballe son sac, prend sa lampe de poche et 1’allume pour chercher des empreintes.

Mais le sentier est bien sec. Il faut chercher. Enfin, une se détache clairement sauf la fin d’un doigt qui est comme coupé...

Alors, il fouille dans son sac, attrape la poche de plâtre, une bassine bleue, la bouteille d’eau, une boîte à camembert et surtout sa cuillère en bois. Il s‘installe tranquillement et prépare le mélange pas trop liquide, découpe le bois de la boîte et en entoure la trace. L’aîné s’applique et moule soigneusement. Le temps que le plâtre sèche, il prend sa loupe et muni de sa lampe, des enveloppes et d’une pince, il cherche et recueille quelques poils arrachés par les ronces de la bordure. Heureusement, elles sont nombreuses sous les noisetiers et ont fonctionné comme des centaines de petits peignes. I1 glisse les poils dans l'enveloppe; il pourra bien profiter de son nouveau microscope…

Enfin, le plâtre du moulage est sec; le grand frère a fini son travail; il range ses outils, puis rentre chez lui. Sa récolte le réjouit : des poils, une empreinte…il va essayer de dormir…

 

6

de l’installation d’un piège

Youl était redescendu des Plumières jusque chez lui.

 

Dans son grenier, Youl fouillait. Il cherchait un piège. Un piège ancien et dont son père avait tant parlé; un piège qu’il aurait du utiliser quand sa femme et ses filles avaient chuté pendant leur course éperdue, quand 1’ ours avait fait résonner toute la vallée de Pujelles par ses grognements. Elles avaient eu si peur !

Et lui qui n’était pas là… .Et puis, il s’était caché, isolé. Fini les copains qui l’avaient entraîné à délaisser sa famille. Oh ,il s’était inquiété, quand il était rentré à la tombée du jour, et il avait attendu, attendu… Et puis le Maire était venu, et lui avait raconté 1’accident… Depuis, il avait compris, il vivait seul, ne faisait plus confiance. On disait qu'il était devenu méchant ? Non… il savait ce qu‘il avait perdu, voilà tout.

Mais maintenant, Youl tenait sa vengeance, il allait 1’avoir, cet ours qui vivait toujours, lui, dans ces forêts... Il avait déjà retourné les remises, la grange et même la vieille ruine du grand-père dont les murs étaient près de s’écrouler et que le cadet devait réparer 1’année du malheur...

Enfin, il tomba dessus ; il avait trouvé le trabuc de légende. Une pièce de bois, un canon de carabine fixé dessus et relié par un fil, une gâchette extérieure. Il trouva même les crampons qui permettaient d’accrocher la ficelle

Il allait l’installer sur le passage, au pas de 1’ours. 11 savait le faire. Le père avait bien raconté.

"Tu mets une balle à 1’intérieur. Tu camoufles à droite la machine infernale. A un arbre, à ras de terre, tu tends le fil et enclenches le chien du fusil !

Attention de bien cacher la cordelette, 1’ours est malin, il la sentirait. N’importe qui pourrait le repérer et grave si tu te fais prendre.."

 

7

d’un vieil ours

C’était un vieil ours ; un vieil ours qui avait une démarche très bizarre, car il lui manquait une griffe, à la patte arrière droite ; un vieil ours de vingt deux ans qui connaissait bien son chemin.

Son chemin allait droit dans la forêt et n’évitait plus aucun arbre. De hêtre en hêtre, sautaient des écureuils qui ne le dérangeaient plus. Quand la neige couvrirait les feuilles fanées, il n’aurait qu’à taper de sa patte et comme d’une tirelire, les faînes sucrées rouleraient hors des réserves des petits mammifères roux. Mais pour cette année, elles étaient épuisées, comme celles des campagnols.

Le vieux solitaire avait repéré le tintement des clochettes venant du Pic de Plumières. Lourd mais agile aussi, il avançait énergique, vaillamment, au petit trot Ses oreilles rondes, douces et fourrées, dont l’une portait une cicatrice mal fermée, s’animèrent. Elles guettaient les brebis qui broutaient un peu plus bas, sous la corniche. La bête à fourrure alla vers elles. En chemin, il trouva des luzules. Il avait vraiment faim et les brebis ne bougeraient pas de sitôt. En broutant, il glissa ; sa patte le gênait, il se sentait fatigué. A la suite de son hibernation, il devait recharger sa réserve de graisse. Et ce n’est pas cette herbe qui suffirait !

En passant dans le sous bois, il n’avait pas senti 1’odeur de cet ail qu’il appréciait tant ; la saison était finie.

Les fourmis qu‘il avait sucées sous les pierres n’étaient qu’une gourmandise et les noisettes de muguette étaient pourries. Bien sûr, il était un grand pêcheur, et tous les printemps, il allait à la mare, sous la cascade, et là, il cueillait les grenouilles; il s’en régalait, s’en gavait à s’en rendre malade. Mais maintenant, en ce début d'été, elles sautaient dans les prés et lui, il avait terriblement faim…

Soudain, le prédateur se mit en garde. Une odeur pas familière mais pas inconnue non plus, montait jusqu’à lui. Il avait une impression de déjà senti. Il savait qu’il allait être dérangé et il ne voulait pas que les hommes viennent traîner par ici. Alors, 1'animal changea d’avis, laissa la piste des belles brebis bien grasses et prit la traversière qui allait passer, tout en bas, par le pont du Moudan. Il suivrait le sentier le long du courant et remonterait épier le troupeau en passant derrière les ruines où un jour, les enfants avaient tant crié, il y a tant de saisons, quand elles 1'avaient vu.

 

8

une machine infernale

Ce matin-là, Marcel, le cadet, se leva dans la brume. Là-haut, sur la montagne, le brouillard cachait les sommets ; les nuages enlaçaient les versants de leurs écharpes blanches, toboggans de bain moussant. Trois jours étaient passés depuis sa rencontre avec 1’ourson. L’ourse devait avoir faim, elle qui allaitait.

Elle devait rôder en quête de nourriture, de graisse. Et le temps se prêtait à l’attaque des troupeaux. Les brebis ne monteraient pas aux Plumières aujourd’hui. Il fallait prévenir les enfants que les bêtes resteraient au village, dans le pré d'en bas. Le père de Bernadette se prépara ; il passerait d’abord avertir Jeannette puis il irait voir le petit animal.

Mais, quand il arriva au parc des moutons, les bergers étaient prêts, ils avaient organisé leur pique-nique. Et ils n'étaient pas du tout d'accord pour abandonner leur programme ; les enfants ne comprenaient pas pourquoi les brebis devaient changer de pâturage. Là-haut, les moutons étaient faciles à surveiller, et les petits bergers dominaient le paysage. Ils voyaient tout venir et pouvaient courir ou descendre les pentes à toute allure, autant qu'ils en avaient envie.

Ils boudèrent mais obéirent. Le petit groupe alla s'asseoir sur un vieux tronc, face au Plumières. La mauvaise humeur était toujours là mais ils commencèrent un jeu de devinettes.

Et c'est alors qu'ils l'aperçurent, filant sur le chemin forestier.

Où allait-il ce Marcel qui venait de déclarer le pic trop dangereux ? D'un bond, les enfants coururent, le rejoignirent. Ils voulaient des explications. Alors l'homme exigeant le secret, dut tout leur dire : les empreintes, les poils, les griffures et puis après, le petit va-nu-pieds couché dans la litière de la grotte……

Il dut même faire suivre les enfants un bout de chemin, jusqu’à 1’entrée de la hêtraie du Pic. Mais aucun indice ne vint troubler la recherche de cette présence. Rien. Alors le cadet se dit que la petite boule de fourrure pouvait dormir encore. Il monterait lui, sur le boulevard, le long de la coursière. Et les enfants promirent; ils jurèrent de ne pas se mettre en danger, de ne pas chercher à le suivre.

Marcel monta, à grands pas, le bâton assurant son équilibre, sans bruit : il ne fallait pas que la rôdeuse soit alertée et qu’ils se retrouvent nez-à-nez !

Les jambes du cadet tremblent un peu, sa silhouette se rapetisse, le cœur bat fort, il est mal à 1’aise…… Enfin, le voilà arrivé à la tanière ; et là, surprise aucun ours, ni grand, ni petit!

 

"Ils doivent tourner à la recherche du troupeau. Et les enfants?.."

Vite, Marcel file.

 

Il est furieux envers lui-même. Comment est- ce possible ? Il est terriblement inquiet et passe sa colère sur les pierres du chemin qui volent sous ses pieds. D’abord, il laisse filer 1’ours, sans savoir vers où il se dirige, et maintenant, il abandonne sa fille Bernadette et les autres à 1’animal sauvage qui peut, à tous les coins du sentier, au flair, les repérer. Peut-être la bête les contournera-t-elle et disparaîtra dans la hêtraie…… Mais peut-être claquera- t-elle des mâchoires et grognera face aux fillettes…… Fou d’angoisse, il tape du talon. Une pierre éclate, puis roule et dévale la piste.

 

Soudain, c’est 1’enfer…… Un coup de feu…… Comment, qui ? Marcel se précipite vers 1’endroit d’où est parti le coup de fusil, et se met à la recherche du tireur. Sur le sol, la pierre est là, il la soulève et découvre au-dessous un fil de fer qu’il suit et qui le mène à un trabuc, cette ancienne machine infernale que les vieux piégeurs utilisaient au début du siècle pour tuer 1’ours. Qui peut 1’avoir installé là? Le braconnier est-il encore par ici?

 

Affolé, il descendit du pic, sautant dans sa course. Parfois, il stoppait pour reprendre 1’équilibre et le souffle. La sueur coulait de son front. Mais dans sa tête une idée faisait son chemin. Il pensait à celui qui avait pu poser ce piège! Heureusement, les enfants n’avaient pas du bouger.

 

9

d'une arrestation

Tout en bas, le cadet aperçut le Maire. Il alla à sa rencontre, il lui expliqua qu’un individu avait installé un piège, peut-être plusieurs. Alors le maire décida de téléphoner, mais il se rendit compte qu’il n’avait toujours pas de portable, et cela lui manquait……… 11 fallait redescendre jusqu'à la mairie. Tout le long du chemin, il marmonnait :

- "Ah! Si j'avais un portable! Ah, si j'avais un portable……

- arrêtez de ronchonner ,monsieur le Maire , nous arrivons…

- Un portable, s’il vous plaît… Un portable… Qui me prêterait……

- Mais arrêtez de pleurer…… Téléphonez plutôt de la cabine à la gendarmerie!" répliqua le cadet.

Tout perdu, furieux de ces piégeurs qui hantaient sa forêt. Pierre pénétra dans la cabine, décrocha le combiné et déroula les numéros. Bien sûr il se trompa et dut s’y prendre à plusieurs fois, rouspétant après un précieux portable qu’il n’avait pas.

- " Allo… oui… ici le Maire de Pujelles…

- ici la gendarmerie…… qu’y a- t-il?

- Je veux un portable… euh enfin non! Non, il y a un dangereux braconnier qui a un portable…

- Pardon? je ne comprends pas…

- Il y a un dangereux braconnier sur ma commune. Il a mis des pièges. Marcel l'a dit. Venez.

- Bien, nous arrivons tout de suite ! "

Effectivement, une demi-heure après, la camionnette bleue se garait devant la mairie. C’est Paul, 1’autre frère du cadet, le plus jeune, parti fonctionnaire, qui arrive avec toute sa brigade ; il a compris que les temps étaient graves si son frère 1’appelait. Le chef prêta un portable à monsieur le Maire qui convoqua ses adjoints pour le soir et qui trouva que c’était vraiment commode, un portable. Puis tout le monde repartit sur les lieux du drame.

 

Pendant la descente, le cadet raconta tout, en détails, aux gendarmes ; son frère 1’écoutait avec attention ; pour prouver ce qu’il dénonçait, Marcel les emmena à l’endroit où était disposé le trabuc.

-"Vous voyez bien…j’avais raison… je n’ai pas menti! dit-il.

- Avez vous une petite idée de qui ça peut être ? Interrogea le plus jeune.

- Qui, je pense que c’est peut-être le cuisinier de l’école, celui nommé Youl.

- Allons vite voir cet étrange personnage !" proposa le gendarme.

Une fois arrivées à la grange que connaissait bien le cadet et Paul, ils toquèrent. Avec quelques minutes de retard, le braconnier ouvrit.

Croyant que c’était le trafiquant tarbais, sans même regarder, Youl se défendit :

"- Je ne l’ai pas encore attrapé.

- Mais qui? questionna le gendarme.

- Ben ! l’ours!"

Et à cet instant, Youl s’aperçut qu’il était devant le cadet et la police. Alors il fit demi-tour et sauta par la fenêtre.

Marcel aussitôt, contourna la maison et se lança à sa poursuite. Il avait pris du retard et monta par le premier chemin. Soudain, il vit Youl qui s'échappait en contrebas. Il coupa le chemin et dévala la pente qui menait au pont.

Youl entendait les pierres qui se choquaient et roulaient sous les pieds du cadet sautant à travers les arbres. Il accéléra, arriva au pont, prit le tournant de la mare et là, glissant sur des grenouilles, il s’affala dans l’eau verte, gluante et malodorante, parmi les nénuphars et les araignées d’eau.

Paul arrivait par le chemin; quand il vit Youl si près et incapable de se dégager, il voulut plonger mais dérapa à son tour, maladroitement, et lui tomba dessus. Aussitôt, il lui glissa les menottes aux poignets.

  Quelques jours plus tard, on fêta l’arrestation de Youl. La salle était éclairée de lampions flamboyants.

Dans la salle des fêtes, des guirlandes pendaient au plafond, les tables étaient décorées avec des nappes multicolores et de longs bancs les longeaient.

Les enfants se régalaient de chips et de boissons gazeuses. Les hommes buvaient leur bière tout en jouant aux cartes sur une petite table mise à part. Le maire, un peu rêveur, imaginait un paquet doré, contenant un beau téléphone. Tous les villageois attendaient le moment pour chanter "joyeuse fête, monsieur le Maire et merci Pierre."

Enfin cette fête se déroulait bien. La musique s’arrêta et 1’assistant du maire monta sur 1’estrade et fit ce discours :

"chers citoyens, chères citoyennes

Cette fête s’est bien passée mais pensons à notre brave maire qui a organisé ce bal pour nous tous. Offrons-lui le cadeau dont il a toujours rêve."

Marcel arriva avec les enfants autour de lui et invita le Maire à le rejoindre :

-"Je vous offre ce cadeau de la part de tous vos concitoyens." Le maire prit le paquet orné de petits cœurs rouges, 1’ouvrit et s’émerveilla devant son portable.

-" Chers amis, je suis très ému par votre présent je vous remercie de cet hommage à ma fonction et vous assure de son utilité ; j’apprécierai de ne plus aller à la cabine téléphonique. Grand merci et maintenant festoyons et buvons ensemble."

Sur ce, il brandit la bouteille de champagne dont il fit sauter le bouchon qui atterrit sur la tête du gendarme. Puis, s’isolant dans un coin de la salle, il commença à téléphoner à tous ses amis puis au commissariat où 1’on interrogeait le braconnier.

En effet, une fois au commissariat, Youl fut conduit dans un parloir escorté par deux gendarmes. Dans la salle, 1’inspecteur les attendait et posa des questions au hors la loi :

"- Votre nom?

- Youl!

- Votre adresse:

-11 forêt des plumières...

- Pourquoi tuer cet ours?

- Parce qu’un trafiquant voulait en acheter la peau.

- Où habite-t-il?

- A Toulouse, 31800 15 rue des papillons, il s’appelle Dja… Dja… mais pourquoi vous dirai-je tout ça moi ?

- Parle!

- Non!

- J’espère que vous avez un bon avocat!

-Bon, bon, il s’appelle Jack et devait me payer après avoir eu la fourrure."

10

EPILOGUE

Au pic de Plumières, on avait attendu, ce jour là que personne n'oublierait. Personne n’avait remarqué le départ du cadet ; un chasseur avait tiré une fois, mais cela n’avait rien d’inhabituel……

Soudain, les enfants remarquèrent des grognements joyeux. Un peu effrayés, ils se détournèrent et les regards vers le hêtre, ils découvrirent avec stupeur un spectacle merveilleux.

Un ourson et sa mère se promenaient. Lou Moussu leur sembla adorable. L’ourse, de ses griffes de huit centimètres, se mit à décortiquer le hêtre. Le petit va - nu-pieds essaya d’imiter sa maman.

Les enfants trouvaient cette scène charmante... .Les couleurs des pelages de ces magnifiques mammifères scintillaient au soleil comme mille feux.

-"Que c’est beau! murmura Bernadette.

-Mais c’est le vieil ours dont on parle au village!...

-Mais non, c’est une femelle avec son petit.

-Regardez, 1’ourse a perdu une griffe.. .C’ est bien le même...cette fourrure presque blanche je ne savais pas que les ours pouvaient être aussi clairs!

- L’ourson est orné d’une tache foncée, lui..."

A ce moment, 1’ourse dut percevoir 1’odeur des enfants; elle râla, se dressa sur la plante des pieds, flaira puis reprit sa marche lente vers le couvert des arbres.

L'ourson curieux, renifla un moment, puis suivit tranquillement. Et c’est ainsi que la vie dans la montagne sauvage continua…

Fin